RITES FUNERAIRES


LES VOYAGES DE L’AME


Copyright Lorena Bettocchi


Publications autorisées à ce jour à la revue Tahiti Pacifique Magazine
 

et Centre d’Etudes de l’Ile de Pâques et de la Polynésie, dont je suis membre

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A Rapa Nui, le culte des ancêtres tenait une place essentielle dans toute manifestation culturelle. Les natifs de l’île considéraient que les enseignements transmis par les ancêtres (matamua) déterminaient les résultats du temps présent : transmission des savoir-faire, récoltes abondantes et nombreuse descendance.


Lorsqu’un chef de famille venait à mourir, les femmes du clan prenaient soin de son corps afin que son âme voyageât en paix et rencontrât les âmes des valeureux ancêtres. Détachée du corps, l’âme du défunt s’acquittait envers les vivants d’un ultime devoir : celui de les protéger durant un certain temps, avant de voyager à l’Ouest.


Les sages connaissant les étoiles (tohunga ite hetu) dont les études astronomiques furent très avancées et servirent à la navigation durant des millénaires, nous ont transmis que l’Est représente le commencement et l’Ouest la fin de la vie. Ces sages déterminaient l’orientation des plates formes cérémonielles (ahu) qui conserveront dans la terre rouge et sous les pierres, durant des siècles et des siècles, les reliques sacrées des défunts Ariki (nobles) et sur lesquelles par la suite furent élevées les statues géantes des ancêtres appelées moai.


En Nouvelle Zélande, les Maoris contaient que l’âme du défunt s’apprêtait à voyager vers le Nord. Il n’est pas surprenant de constater qu’à Rapa Nui comme en Nouvelle Zélande, le point de retour des âmes correspond à l’origine des migrations Lapita (provenant du Sud-Est Asiatique). L’origine des migrations, nous le savons à présent par la linguistique et l’archéologie, remonte à cette région géographique. Elles ont sillonné la mer sur la route de l’obsidienne durant des millénaires. Les Lapita furent exterminés ou assimilés par les populations mélanésiennes.


LES TROIS VOYAGES DE L’AME


C’est durant le premier voyage que l’âme et le corps se séparent. Autrefois les lamentations des femmes (tangi) accompagnaient les rituels mortuaires appelés vai tangi (lit. larmes et pleurs). Ces chants aidaient l’âme à passer la première porte. Car ainsi voyageait l’esprit. Et le corps devait également suivre ces passages. Des rituels de conservation des corps furent observés aussi bien à Rapa Nui qu’en Nouvelle Zélande.


Dans un premier temps, après l’avoir toiletté, les femmes entouraient le corps du défunt de bandelettes de tissu le tapa, écorce pilée du mûrier ou broussanetia pipirifera (mahute). Durant cette cérémonie funéraire intervenait parfois le Tohunga Maori rongo-rongo, ‘Sage Maori connaissant les paroles sacrées’, qui récitait les exploits du valeureux défunt ainsi que de tous ses ancêtres.
A Rapa Nui, dans certaines tribus, le corps du défunt, rendu rigide par son habit funéraire reposait et séchait à l’air pur. Ces sites funéraires furent observés par les navigateurs le long de la corniche, côté soleil couchant. La dépouille de l’ancien était placée près des siens, près de son village et orientée à l’Ouest. Toute approche, toute profanation du lieu devenait tabu, c’est à dire interdite. L’arbre sacré sophora tetraptera (toromiro) fut utilisé pour tailler les fourches qui soutenaient le coprs surélevé.


Si le défunt était Ariki, deux cylindres volumineux taillés dans le tuf rouge étaient posés sur le sol, près d’un ahu et supportaient les fourches de bois et le corps du défunt.
Il m’apparaît utile de souligner l’intime relation entre ces cylindres rouges et le pukao, c’est-à-dire le chapeau des moai. Taillés dans la même roche sacrée et dont la couleur symbolisait fertilité, connaissance et mana, force des transmissions à travers le temps.


L’âme au cours du premier voyage demeurait au-dessus des vivants, suscitant réconfort et sécurité ou bien crainte et tourment. Tout dépendait du comportement des descendants. Les anciens Rapa Nui désignaient ‘l’âme du défunt qui accomplit son premier voyage’ en utilisant le signifiant kuhane.


A la fin d’une période déterminée par l’astrologue, la dépouille était transportée et inhumée en un autre lieu sacré, différent selon le rang du défunt : caverne appelée hanga située sur les terres du clan ou bien chambres mortuaires appelées avanga - ou encore sous les pierres de la plate forme cérémonielle appelée ahu. En Nouvelle Zélande et aux Iles Marquises les ossements furent entreposés à l’intérieur des cavernes ou les troncs d’arbres sacrés ou bien encore sous les fondations du temple appelé Marae.


L’âme pouvait ainsi accomplir son second voyage et rencontrer l’esprit des ancêtres les plus proches. Cette force, ce mana ou regroupement des âmes des défunts autour de leur descendance caractérisait le lien entre les vivants et les disparus, entre le présent et l’au-delà. 


En langue rapa nui l’âme à la fin de ce séjour n’est plus désignée par le terme de ‘kuhane’ mais par un autre signifiant ‘varua’. Rua signifie deux. Varua, l’esprit au cours du deuxième passage que certains membres du Conseil des Anciens interprètent comme la  ‘manifestation de la conscience des vivants afin de satisfaire par des actions justes et libres l’esprit des tupuna’, c’est-à-dire des ancêtres.


Les crânes des défuns possédaient des pouvoirs sacrés. Il arrivait qu’une tribu adverse parvint à profaner une chambre mortuaire et voler le crâne d’un ancêtre pour suspendre la relique à l’entrée d’une maison. Sur le sommet des crânes utilisés à cet effet furent observées des écritures représentant un oiseau marin ou un sexe féminin appelé ‘komari’ tous deux symboles de pouvoir, d’abondance à la pêche puisque les oiseaux désignent un banc de poisson et de fertilité. Les profanes tentaient de s’approprier ainsi tous les mérites de l’ancêtre et principalement de son ‘mana"


Le troisième voyage de l’âme du défunt se fera dans le futur, donc sans rituel. Puisque le futur demeurait inconnu : les Polynésiens disent que ‘le passé se dresse devant soi’ puisque connu et que le futur est derrière soi puisqu’inconnu. L’âme en paix, au cours du troisième voyage rejoindra le Hawai ki rangi, c’est à dire le cosmos (rangi) où se rencontrent les ancêtres ayant transmis leurs connaissances (ki) et ce jusqu’à l’esprit du premier homme Maori. La tradition cosmogonique est la suivante : les Polynésiens sont fils du ciel lequel en s’unissant à la terre a donné naissance au premier homme et à son âme symbolisée par l’oiseau.



A Rapa Nui, les ancêtres défunts furent représentés par des statuettes de tapa l’écorce pilée du mûrier, de bois sacré ou de pierres tendres, selon le rituel auquel ces reliques se rapportaient - entre autres les fêtes annuelles dédiées aux anciens et aux esprits protecteurs des récoltes-. C’est à l’occasion de ces cérémonies que le Maori Rongo-Rongo récitait les généalogies avec les tablettes de la connaissance.

 


 La statue géante appelée Moai fut érigée afin d’immortaliser un ariki, un chef, sa lignée est ses origines comme le démontre le célèbre ahu Tonga Ariki, celui des ancêtres venus des Iles Tonga. Le Moai protège son village, il est orienté vers lui. On lui ouvre les yeux durant une cérémonie appelée ‘mana tupuna’, lien spirituel qui nous relie nous les vivants aux ancêtres rapa nui.










LIEN ENTRE RAPA-NUI ET MADAGASCAR


 Notons que tous les linguistes s’accordent à dire que des migrations parlant le proto-austronésien, langue mère des Polynésiens et des Malgaches ont rejoint Madagascar et que l’on retrouve le proto-austronésien dans leur parler malgré les grandes distances géographiques. Il semblerait que ce n’est pas le seul lien entre la très grande île proche des côtes de l’Afrique et la Polynésie.


 En effet une ancienne coutume s’observe à Madagascar alors qu’en Polynésie elle cessa d’exister avec l’arrivée des missions. Il s’agit de la coutume du « retournement des morts », transportés d’un lieu à un autre site.


Ces liens et cette protection accordée par les ancêtres à leur descendance nous sont dévoilés par une coutume profondément enracinée et vivante. Tout comme les Polynésiens de croyances ancestrales, les natifs de Madagascar, dans certaines contrées communiquent régulièrement avec leurs défunts, les honorent par des fêtes et n’ont aucunement peur de la mort et de l’au-delà.


Copyright Lorena Bettocchi


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