HISTOIRE ET DESTIN DE RAPA NUI 
Par Lorena Bettocchi

L’Île de Pâques  ou Rapa Nui en langue vernaculaire, la langue des natifs,  est une petite île de 163 km² située dans le sud du Pacifique, à l’extrême est du triangle polynésien avec, au Nord les Iles Hawaï, à l’ouest la Nouvelle Zélande et au centre les Fidji, les Tonga et la Polynésie Française.

Rapa Nui est l’une des terres les plus isolées du monde, au centre d’un cercle de deux mille kilomètres de rayon, distance qui la sépare de l’île la plus proche, Pitcairn qui fut colonisée par les révoltés du Bounty.

Remontons le fil du temps et  imaginons un jeune Maori nommé Rano « homme né libre », qui ne connaît du monde que son île, un horizon formant une courbe et un océan sauvage.  Et un beau jour,  Rano voit apparaître en mer, trois vaisseaux toutes voiles déployées. Il sursaute et hurle d’excitation, gesticule pour attirer l’attention et alimente fébrilement son feu d’herbes sèches.

Sur le premier navire de l’expédition, à la découverte de la « terre incognita »  le capitaine de vaisseau hollandais Jacob Roggeven observe cette île à la jumelle. Celle-ci est sombre et hostile, recouverte d’une végétation jaunâtre et des roches brunes probablement volcaniques. Des vagues énormes, écumeuses et violentes se jettent contre les falaises et l’empêchent d’accoster. Il est fort intrigué car il croit reconnaître des cairn celtiques et des menhirs ! La fumée qu’il vient d’apercevoir lui donne à penser qu’à terre il y a des humains.

Il cherche alors une baie pour jeter l’ancre. Lorsqu’il parvient à une petite crique tranquille et qu’il l’explore pour la première fois, il est totalement bouleversé. La découverte de Rapa Nui, se produisit par hasard, un dimanche de Pâques de l’an 1722. Sur une page blanche, Roggeven dessina une petite île de forme triangulaire avec trois cratères de volcans éteints.  Et comme cette terre n’avait point de nom, il la baptisa « Île de Pâques ».

Le navigateur consigna ses impressions sur le livre de bord . Cette île inhospitalière était bien habitée. Il ne pouvait imaginer comment ces hommes et ces femmes, physiquement semblables à tous ceux des Îles du Pacifique étaient arrivés jusque là, avec leurs archaïques pirogues à balancier. Lui, Jacob Roggeven, pensait que seul Dieu avait pu les déposer là !

Il ne découvrit en effet aucune pirogue, aucun bateau, aucun arbre, aucun moyen d’aller en haute mer. Les questions que se posa le capitaine de vaisseau Roggeven vont intriguer les navigateurs qui suivront. Mais ces derniers troubleront profondément la vie de Rano et de toute sa descendance. Ils détruiront rites et coutumes, changeront la vie, la santé, les noms ancestraux, la liberté des natifs de cette « étrange terre des hommes ».

En 1770, une expédition pour le compte du Roi d’Espagne va également séjourner sur l’île : le temps d’y planter des croix et de l’annexer à la couronne. Fait extraordinaire : les trois chefs signent le traité d’annexion faisant apparaître d’étranges tracés, ce qui sera interprété par les Académiciens de Londres et de Madrid comme la première manifestation d’une écriture chez ces sauvages de l’Océanie, fait d’autant étrange qu’elle n’existe nulle part ailleurs sauf dans cette île à l’isolement total.

Quatre ans plus tard, c’est la capitaine Cook qui explore l’Île de Pâques. Les luttes tribales semblent avoir ravagé l’île. Les statues ont été renversées, brisées.

En 1848, alors que la France vote l’abolition de l’esclavage dans toutes ses colonies, des bateaux recruteurs au travail forcé iront ratisser en dehors  des Antilles. Ils viendront dans le Pacifique et seront fort heureusement arraisonnés par les gardes côtes français. Mais la traite des Maoris avait commencé. L’île de Pâques fut soumise à plusieurs reprises et les hommes, les plus forts, furent embarqués de force. Il y avait parmi eux les sages qui connaissaient les secrets des rituels et de l’écriture.

 Lorsqu’en 1872 la Flore, avec l’aspirant Julien Viaud (que nous connaissons sous son nom d’auteur : Pierre Loti)  visita l’île, elle ne comportait plus que quelques centaines d’habitants (au lieu de plusieurs milliers avant les razzias des esclavagistes chiliens et péruviens). Les natifs furent contaminés par les marins.

La langue ancienne, les rituels, les coutumes  ancestrales faillirent disparaître. La venue des missionnaires fit connaître d’autres « Atua », celle des marchands d’autres coutumes. On pilla l’île de ses œuvres d’art. Tous les originaux des tablettes de la connaissance, découvertes en 1864 par le frère Eugène Heyraud, comportant leur si extraordinaire écriture furent brûlés ou dispersés. Les Pascuans  parqués, interdits de séjour sur leurs propres terres,  connurent le couvre-feu.

 Tahiti finit par se désintéresser des habitants, sauf pour les exporter dans ses missions  et les faire travailler. Il fut  demandé au Chili, dont les navires s’approchaient souvent de l’île,  une reconnaissance, voire même un protectorat afin de mettre fin au désastre.  Et le 9 septembre 1888, le Capitaine des gardes marins Policarpo Toro, après une période d’observation proposa son annexion à la 5ème région du Chili.

Dès lors, le déclin fut stoppé et petit à petit l’île se repeupla, retrouva une économie fermée donnant nourriture à tous ses habitants. L’état civil fut mis en place et les généalogies anciennes furent changées par le baptême.  Les Pascuans perdront donc leurs désignatifs qui racontaient toute l’histoire de leur famille.

 Si Allende reconnut l'originalité de la culture des Rapa Nui et construisit des écoles, Pinochet leur mena la vie dure.  Il réquisitionna sans aucune forme d’indemnité toutes les terres planes et fertiles.

A présent nous pouvons dire qu’à Rapa Nui, tous sont heureux et environ 3000 habitants. Le renouveau culturel a repris  force et vigueur. Les femmes, auxquelles on refusait la connaissance, sont accueillies au sein des Conseils des Anciens. L’île comporte 49 familles ancestrales. L’une d’elles fut ma famille durant trois ans.

L’Île de  Pâques, de  tradition maorie, on ne  lui a pas souvent accordé cette identité, a fait couler beaucoup d’encre. Toutes les folies furent écrites vers les années soixante : que les statues furent érigées par des extra-terrestres ou par des géants, les rescapés des antiques cités de Mu.

Je peux vous certifier que ce qui fut pensé, construit, respecté, sculpté, vécu et souffert, revit chaque jour là-bas, à la mémoire des ancêtres et que les manifestations artistiques furent élaborés par l’homme. Le mérite revient aux seuls Rapa Nui qui honorèrent par leur grande culture la mémoire des anciens.

L’ancêtre par excellence est représenté par la statue géante le Moai : la traduction de ce mot signifie : pour la descendance ou le géniteur. Un moai est donc un chef, un Ariki, celui qui a donné naissance à toute une lignée. Pierre Loti consigne sur ses notes que les Pascuans disaient également ‘morai’. Ce qui veut dire ‘pour le ciel’.

Ce sont les clans des longues oreilles qui les ont sculptés,  tribus dont la culture est dite « des lumières ». Le mot existe en langue rapa nui, c’est Marama. Un clan porte encore ce nom.

Entre toutes les énigmes qu’offre l’étude de l’Île de Pâques, l’une d’elles est l’origine de son peuplement. Un grand nombre d’évidences archéologiques, anthropologiques et linguistiques désignent les Îles Marquises d’où vinrent probablement les colonisateurs durant les premiers siècles de notre ère.

D'après leurs légendes et la tradition orale, les Rapa Nui content que les premiers êtres humains à poser le pied sur le sol de ce qu’il nommèrent "Te Pito te Henua"  c’est à dire en langue marquisienne : le "Nombril de la Terre Mère", traversèrent l’immensité de l’Océan Pacifique poussés par des  rêves prémonitoire d’initiés de la Terre des Hommes ‘Enua Enata’ selon la langue marquisienne.

Ces légendes rapa nui nous transmettent que Hotu Matua (matua : le père entre tous, l’ancêtre) quitta les Terres des Hommes car son temple fut détruit par un raz de marée. Après avoir navigué, Hotu Matua rencontra une île sauvage et difficile d’accès. Mais les initiés Tare et Rapa-hango avaient vu l’île en rêve prémonitoire et lui avaient fourni de précieuses indications.

Confiant, Hotu Matua fit le tour de l’île  et trouva une baie habitée seulement par des oiseaux ce qui se dit Hana Kena et ainsi fut  baptisée  la  baie du premier débarquement.

Selon les méthodes de navigation océaniennes, plusieurs grandes pirogues convoyèrent plus de deux cents hommes femmes et enfants, ainsi que des plantes et des animaux. L’Ariki Hotu Matua était accompagné par ses sages maoris, car il est maori, ses stratèges et ses artisans , ses pêcheurs, et ses agriculteurs. Parmi eux se trouvaient des initiés ayant connaissance de l’écriture sacrée : le rongo-rongo.  Hotu Matua avait emporté avec lui de nombreuses tablettes écrites mémorisant  généalogies et histoire et seuls les sages pouvaient réciter ces écrits.  Ils avaient reçu des enseignements et représentaient l’élite et la mémoire.

 Chacun connaissait sa position à l’intérieur d’une rigide structure sociale, dont le chef était l’Ariki, descendant direct du Ciel et qui possédait un pouvoir surnaturel appelé le MANA.  Pour cela il était protégé et isolé comme il se doit par les règles du TAPU, l’interdit et le sacré.

Les descendants d’HOTU MATUA (l’ancêtre, le père)  durent faire face aux premières difficultés : ni le cocotier ni l’arbre à pain  ne poussèrent en raison des vents salés de la mer. Par contre le mahute (mûrier), poussa très bien et avec l’écorce pilée, le tapa, les anciens purent confectionner des étoles destinées à les protéger du froid.

Le calebassier donna des récipients ronds et son écorce des colorants pour teinter les cheveux, les tatouages et la peau.

 La végétation de l'Île de Pâques comportait des bois sacrés. Seuls les Tohuka avaient le droit de  les    exploiter  - le toromiro ou sophora tetraptera est à présent en voie de disparition mais il y encore du bois de rose appelé makoi. Et les statuettes exécutées en makoi sont très belles. Car les natifs de l’île ont un don : la sculpture. Rapa Nui est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité tout le mérite  revient aux descendants d’Hotu Matua. Un autre bois, le palmier du Chili servit de levier pour transporter les statues géantes pesant plusieurs tonnes.

Selon les rites océaniens, la nourriture était sacrée et bien commun, stockée dans une maison spéciale avec garde jour et nuit.  Certaines de ces maisons étaient parfois sculptées de pétroglyphes dédiés au esprits tutélaires protecteurs des récoltes.

Le tracé des pétroglypes se faisait sous la surveillance des sages de chaque clan. Par ces écritures, l’île est un véritable livre de pierres.

On ne sait si ce fut l’isolement, mais les natifs de Rapa Nui se trouvèrent dans les conditions idéales - hasard ou nécessité ?-  afin de puiser les matières premières propres à la construction de sculptures de plus en plus grandes et chaque fois plus parfaites.

Durant un millénaire, les Tangata Maori Hanga Ahu, c’est à dire les hommes maori ayant le savoir- faire  des autels, en construisirent plus de trois cents, la majeure partie d’entre eux  seront placés le long de la côte.  Il fallut transporter pierres et statues géantes.

Le plus immense est l’Ahu Tonga Ariki représentant les  chefs Tonga dont la plateforme atteint 45 mètres de large et 160 mètres de long.  Elle soutenait 15 moais imposants avec leur chapeau de tuf rouge.   Cet ahu fut renversé en 1962 par un raz de marée et remonté durant sept ans par l’archéologue chilien Claudio Cristino. En 1995 sa tâche fut accomplie et une cérémonie de levée des tabous eut lieu, regroupant des sages venus de contrées lointaines. Car ces Tohuka, dans les sociétés océaniennes actuelles, existent encore.

Les statues furent érigées sur des autels de pierres rondes, fort bien ajustées les unes aux autres, sur des terres sacrées  et conservent les ossements des ancêtres, les Ariki.  L’autel était orienté  face au village, pour le protéger et face au soleil levant. Il recevait les premiers rayons du soleil au moment des solstices et des équinoxes.  Les astronomes possédaient parfaitement la science des cycles lunaires et solaires.  Ces observations étaient utiles à l’Ariki et permettaient de prévoir la venue d’équateur des courants chauds qui annonçaient  l’arrivée des tortues, mets fins et riches, destinés à l’élite.  Il en était de même  pour la venue d’ oiseaux marins migrateurs.

Les connaissances scientifiques des Tohuka étaient entourées  de tabous et de rituels  absolument nécessaires au maintien de l’ordre politique et social de l’île.

Parmi les pétroglypes de l’Île de Pâques certains rappellent une légende  qui devint rite : l’homme oiseau.

En Océanie, les croyances cosmogoniques racontent que tout être est descendant  du Ciel-Premier, lequel s’unissant à la Terre-Mère à donné naissance au premier homme ‘Maori’ et à son compagnon ‘Manu’ l’oiseau. L’oiseau symbolise la liberté et l’âme.

TE TANGATA MANU ou l’Homme-Oiseau

Le rite de l’homme oiseau a bien existé à l’île de Pâques. La tradition orale nous transmet qu’il naquit de luttes tellement violentes entre clans qu’il fallut pour survivre trouver une solution.

 En effet, l’île  fut visitée par d’autres tribus, des êtres frustes, aux mœurs sauvages venus d’on ne sait où en Océanie, de type mélanésien. On les appelait ‘hanau eepe’, c’est-à-dire petits et trapus ou Courtes Oreilles, différents des ‘hanau momoko’, nés grands et minces, Longues Oreilles, constructeurs des moais.   Ces mélanésiens furent cantonnés dans une péninsule, le Poïke où il était difficile de pêcher. Comme chaque famille donnait naissance à de nombreux enfants, ils furent très vite trop nombreux. Ils étaient cultivateurs. Pour alimenter suffisamment leur tribu, ils demandèrent aux Ariki Longues Oreilles la permission de cultiver les meilleures terres, plus planes, moins empierrées. Les longues oreilles leur refusèrent ce droit. Il s’ensuivit des luttes sans merci. Toutes les plates formes cérémonielles avec les statues géantes furent profanées, renversées. Comme cela fut observé dans certaines îles d’Océanie, selon le rituel de la guerre, certains se livrèrent à l'anthropophagie.

Les arbres furent abattus jusqu’au dernier pour empêcher le clan adverse de construire des pirogues, d’aller pêcher en mer et d’élever ces statues géantes qui accordaient à leurs adversaires tant de pouvoir.

La vie à Rapa Nui devint un enfer. Les Sages réunis en conseil cherchèrent une solution. Il leur fallait un chef digne de ce nom.  Courageux, proche des esprits tutélaires, proche du Ciel et de la Terre. Un "Homme Oiseau" terrifiant et puissant.

Ils mirent en place un rite sacré, une sorte de  compétition initiatique. Il fallait dévaler la pente du volcan Orongo, nager dans une mer infestée de requins et grimper sur l’îlot Motu Iti pour y rechercher un œuf, celui de l’hirondelle de mer, qui chaque printemps venait y renouveler sa nichée.

Les prétendants furent peu nombreux ! Seuls les plus forts, les plus courageux furent candidats. Le premier à revenir au sommet du volcan Orongo, là où siégeaient autrefois les anciens, le premier Maori à ramener l’œuf originel serait nommé ‘Tangata Manu’ ou Homme Oiseau  et respecté durant un an, jusqu’au retour des hirondelles de mer. Ainsi fut fait.

Le Tangata Manu  était entièrement isolé et nourri pour tous les clans. Il représentait l’autorité et garantissait la paix. La coutume dura plusieurs siècles. Elle se confond à la légende, illustrée par les pétroglyphes du volcan Orongo qui furent sculptés en amont ou en aval de l’histoire.

Lorsque le frère Eugène Heyraud alla prêcher la bonne parole sur l’Île de Pâques, il fut confronté à l’autorité d’un ancien Tangata Manu lequel se sentant investi de pouvoir lui mena la vie dure, lui vola tous les objets de culte y compris sa soutane.

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